Comme sur l’ensemble du littoral méditerranéen, trois espèces de Martinets sont présentes à Toulon durant la période de nidification :
– Le Martinet noir (Apus apus) le plus commun et le plus abondant ; il nidifie dans toute la ville.
– Le Martinet pâle (Apus pallidus) plus rare. A Toulon, il nidifie dans le bâti du vieux port, les bâtiments de la Marine, le Bd de la République, et les falaises du sentier du littoral.
– Le Martinet à ventre blanc (Apus melba) qui lui, nidifie dans les falaises du Mont Faron et du sentier du littoral.
Rupestres à l’origine, les Martinets ont depuis longtemps trouvé dans les constructions traditionnelles de nos villes, des sites favorables pour nidifier.
Les endroits propices à l’installation de leurs gîtes auxquels – il est important de le souligner – ils sont fidèles année après année, sont principalement situés : sous les dessous des toits, sous les corniches et les dessous des tuiles, les passages de gouttières des bâtiments neufs ou anciens, dans les coffrages des stores enrouleurs, à l’arrière des persiennes et des volets condamnés. Bref, toutes sortes d’anfractuosités, crevasses, fissures et trous divers dans les façades résultant généralement de la dégradation des murs, font l’affaire.
Et là est le problème !
Car lors des travaux de ravalement (obligatoires tous les 10 ans), de restauration ou réhabilitation du bâti ancien, on ne tient pas compte de leur présence ni de leurs besoins. Pire, on veille à supprimer chaque trou, et, on ne crée pas de nouvelles brèches. Le béton, le métal ou le verre n’offrent plus le moindre accès à une cavité favorable aux Martinets, ni aux autres espèces cavernicoles d’ailleurs.
De plus, lorsque les travaux ont lieu durant la période estivale – ce qui est fréquent – et que les précautions d’usage ne sont pas prises, ce sont alors des couvées entières qui sont détruites.
En supprimant ainsi toutes possibilités de nidifier aux Martinets, on met tout simplement en péril l’avenir de l’espèce à nos côtés.
Une étude du Muséum National d’Histoire Naturelle (MNHN) et du Conservatoire d’Espaces Naturel (CEN) montre que pour 40 pays d’Europe, seuls 5 pays ont une population de Martinets qui semble s’accroître alors que pour la majorité des autres pays les effectifs stagnent ou même pour 12 d’entre eux régressent d’une façon alarmante.
Et pourtant les Martinets (et les Hirondelles) sont des espèces intégralement protégées par la loi 10 juillet 1976 relative à la protection de la nature codifiée aux articles L411-1 et suivants du Code de l’environnement et de l’arrêté ministériel du 29/10/2009 fixant la liste des oiseaux protégés sur l’ensemble du territoire.
Pour eux, sont interdits, en tout temps, la destruction intentionnelle ou l’enlèvement des œufs et des nids, la destruction, la mutilation intentionnelle, la capture ou l’enlèvement des oiseaux dans le milieu naturel, la perturbation intentionnelle notamment en période de reproduction et de dépendance, la détention, le transport, la naturalisation, le colportage, la mise en vente, la vente ou l’achat l’utilisation commerciale ou non des spécimens prélevés dans le milieu naturel qu’ils soient morts ou vivants.
Tout responsable d’une infraction constitutive d’un délit s’expose à une amende pouvant aller jusqu’à 15 000 euros d’amende et/ou une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à 1 an (art. L 415-3 du Code de l’environnement).
S’agissant de perturbation intentionnelle, l’infraction constitue une contravention de 4ème classe passible d’une amende de 750 euro (R 415. 1 du Code de l’environnement).
Sont interdits également la destruction, l’altération ou la dégradation des sites de reproduction et des aires de repos des animaux (art 3-II de l’arrêté ministériel du 29/10/2009) sous peine de se voir sanctionné de 15 000 euro d’amende et/ou 1 an de prison.
L’infraction la plus courante est la destruction des nids à l’occasion de travaux d’entretien des immeubles ou de réhabilitation des quartiers ou, plus grave encore, par simple souci de propreté des façades.
Pourtant, le constat est alarmant, car de toute évidence, pour beaucoup de particuliers et/ou d’entreprises du Bâtiment, la législation semble encore n’être une option.
Combien de nids et/ou de nichées sont détruits (voire emmurés) dans l’impunité totale (pas vu pas pris !)
Une étude menée par G. Gory (1994), chercheur au Muséum d’Histoire Naturelle de Nîmes, dans un secteur sauvegardé d’une ville moyenne, où tout travail est soumis à autorisation, démontre qu’en moins de 10 ans, près de 13 % de la surface disponible n’est plus favorable au Martinet noir, et comme la tendance est à l’augmentation des demandes, on peut réellement se poser des questions quant à l’avenir des populations nicheuses de Martinets en France.
Et c’est donc pour cela que la LPO PACA et son groupe local de bénévoles ont décidé d’agir à Toulon où les Martinets sont encore bien présents, pour que des solutions de protection voire de valorisation de cette espèce emblématique du patrimoine bâti, soient mises en œuvre lors de tous les travaux de rénovation urbaine.
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TOULON est la 3ème ville en Provence Alpes Côte d’Azur, après Marseille et Nice.
Située entre mer et montagne, c’est la capitale économique du Var et la pièce maitresse de la communauté d’agglomérations TPM (Toulon Provence Méditerranée) qui regroupe 12 communes.
Un ambitieux programme de réhabilitation urbaine de son centre historique (environ 23 ha) est en cours depuis plusieurs années. Tous les quartiers sont rénovés par tranches successives, allant du simple ravalement de façades à la démolition d’ilots entiers et de reconstruction d’immeubles neufs. Et notre inquiétude bien sûr, est de voir peu à peu disparaître les possibilités de nidification des Martinets noirs.
L’affaire n’est pas simple !
Ici comme ailleurs, la biodiversité n’a jamais été vraiment prise en compte dans les travaux d’entretien et de rénovation, que ce soit dans le bâti ancien, dans les constructions neuves ou dans les monuments historiques.
Les architectes, les urbanistes, les paysagistes…. n’ont pas encore cette habitude et par méconnaissance, ils partent trop souvent du principe qu’en ville, il n’y a rien à préserver. Du coup, les diagnostics écologiques en ville sont pratiquement inexistants.
La norme HQE (haute qualité environnementale) par exemple, n’inclut que la performance énergétique, pas de place pour la biodiversité urbaine dite ordinaire.
Mais, en 2013, un nouveau label est apparu sur le marché de l’immobilier, le référentiel
http://cibi-biodivercity.com/biodivercity/ prenant en compte la biodiversité urbaine dans les constructions, il est important d’en faire la promotion.
Avec 80% d’urbains à l’horizon 2050, favoriser la biodiversité urbaine intégrée aux ensembles bâtis est un enjeu pour l’environnement et le bien-être des citadins. C’est aussi une nouvelle valeur ajoutée (immatérielle) pour les immeubles et un enjeu économique pour une filière immobilière élargie aux acteurs de l’écologie et du vivant.
C’est donc un travail d’information, de sensibilisation de toute une profession qui doit être mis en œuvre afin qu’un autre regard puisse enfin être porté sur la nature en ville.
Un processus de longue haleine qui nécessite de la communication et de l’animation continue. Il faut arriver à faire prendre conscience que la nature en ville est source de bien-être et d’équilibre pour les citadins, et qu’elle est aussi importante à protéger qu’au somment des montagnes.
A Toulon, plusieurs services de la Mairie se sont montrés attentifs, curieux et finalement intéressés par le projet : Développement Durable, Ville Durable, Protection Animale, Rénovation Urbaine et Var Aménagement Développement (Sté d’économie mixte en charge de la réhabilitation du centre ancien de Toulon).
Monsieur Gérard Gory, Muséum d’Histoire Naturelle de Nîmes, et grand spécialiste des Martinets nous a également apporté un réel soutien et de précieux conseils, notamment pour l’affaire de l’Hopital Chalucet où une dizaine de bâtiments ont été démolis en juin et juillet dernier au moment même où les Martinets nourrissaient leurs jeunes aux nids.
Un grand merci également à swift-conservation.org, Ulrich Tigges, Edward Mayer, et à Marcel Jacquat du Muséum d’histoire naturelle de la Chaux de Fonds en Suisse, pour tous leurs conseils, les documentations et les photos, ainsi que les soutiens qu’ils m’ont apportés depuis plus d’une année.
LE RECENSEMENT DES NIDS (Mai-Juin 2015).
Et comme la protection commence toujours par la connaissance, l’idée de réaliser un recensement des sites de nidification des Martinets à Toulon s’est concrétisée par la mise au point d’une campagne participative.
Personne ne peut contester la présence de nombreux Martinets en ville durant l’été, mais qui sait combien ils sont réellement à nidifier et, surtout où sont localisés leurs nids ?
Pour se faire :
– Près de 1000 flyers LPO PACA « Campagne de recensement des nids de Martinets noirs à Toulon » ont été distribués auprès des habitants, des offices du tourisme, des commerçants, des restaurants, des écoles et dans divers lieux publics. Quelques bénévoles ont même fait du porte à porte dans le cœur de ville pour présenter les objectifs de cette opération.
– 2 conférences sur « le Martinet noir dans le Bâti de Toulon » ont été animées par Katherine le samedi 2 mai 2015 à la Seyne – Médiathèque Andrée Chedid, et le mercredi 19 mai 2015 à Toulon – Collège Peiresc.
– Katherine a également participé à 2 émissions radio sur les Martinets de Toulon et la campagne de recensement 2015 (RCF et France Bleue Provence), France Bleue Provence a également fait un reportage sur le terrain à l’arrivée des premiers Martinets.
Finalement, ce sont près de 30 personnes qui se sont portées volontaires pour participer à cette opération originale. Et, même si tout le monde n’était pas disponible durant les 2 mois prévus, nous étions régulièrement entre 5 et 12 à nous retrouver 2 fois par semaine, les lundis et jeudis en fin d’après-midi, près du Café Culture dans le centre ancien.
Des équipes de 2 ou 3 personnes étaient alors constituées, et muni d’un plan de secteur à inventorier et d’une fiche de comptage, chacun partait le nez en l’air et les yeux grands ouverts pour près de 3 heures d’observation.
*C’est le service topographie de la mairie qui nous a aimablement fourni les plans cadastraux de la ville. Le centre ancien avait été découpé en 8 secteurs.
*La fiche de comptage indiquant : le ou les noms des participants, la météo, le numéro du secteur, le nom de la rue, le numéro des immeubles, la référence cadastrale, la localisation du ou des nids (ex : 3ème trou de boulin gauche, derrière gouttière droite…) les heures des entrées et/ou sorties des Martinets, et le nombre d’A/R observés).
Après chaque prospection, tous les éléments étaient reportés sur un tableau Excell remis en fin de semaine à la Mairie et à Var Aménagement Développement.
Et, en fin de campagne, toutes les données ont été entrées sur http://www.faune-paca.org/
NOS OBSERVATIONS
C’est vers la mi-avril que nous avons commencé à remarquer les premiers Martinets tournoyant haut dans le ciel. Sûrement des adultes reproducteurs entrain de reprendre des forces avant la grande épreuve de la reproduction.
Puis de jour en jour, leur nombre augmentait.
Et, ce n’est que dans la seconde quinzaine de mai que nous avons pu commencer à identifier leurs sites de nidification.
Souvent même, des stations au pied de certains immeubles étaient nécessaires pour savoir si oui ou non les trous de boulins, arrières de gouttières ou autres fissures étaient bien occupés. Ces pieds de grues devant des entrées d’immeubles ont d’ailleurs quelques fois donné lieu à des situations assez cocasses !
Fin juin, les rondes sonores des immatures, les recherches de cavités et les tentatives d’intrusion dans des cavités nous ont ravis car elles donnaient lieu à des spectacles incroyables. On voyait parfaitement les pré-nicheurs s’accrocher aux entrées de certaines cavités, le plus souvent des trous de boulin pour inspecter les lieux.
BILAN :
La campagne de recensement s’est déroulée du 21 mai au 11 juillet 2015 (tableau Excell).
Bien que les Martinets soient toujours présents en ville mi-juillet, ce sont les bénévoles qui ont accusé la fatigue. Les comptages ont donc été arrêtés mais, pour quelques-uns d’entre nous, les observations se sont poursuivies jusqu’à la fin septembre, notamment pour les Martinets pâles les derniers à quitter le littoral.
Une vingtaine de sorties « participatives » de comptage,
250 heures de prospection
384 nids actifs recensés dans le centre ancien.
Dans le centre ancien de Toulon, la majorité des nids se trouve dans les trous de boulin (nombreux dans le bâti ancien de Toulon) sur les façades, à l’arrière de gouttières, sous les tuiles et dans les coffrages de stores métalliques, dans les murs dégradés de certains monuments historiques comme la Tour royale, monument historique située à l’entrée de la rade de Toulon.
SUITE 2016
→La Mairie de Toulon vient d’éditer avec la LPO PACA un flyer « Protection des Martinets à Toulon » qui sera désormais joint, par le service Urbanisme, à chaque dossier de demande de travaux. (Crédit photo Swift Conservation). Il est en ligne sur le site officiel de la mairie http://toulon.fr/martinet.
Une réunion avec les différents acteurs du bâti, entreprises, architectes, bailleurs publics et privés devrait être organisée prochainement par Var Aménagement Développement et la Mairie, afin que la problématique « Martinets » soit perçue au mieux par tous – ce qui n’est pas évident.
→La communauté d’agglomérations Toulon Provence Méditerranée (TPM) s’est engagée à installer avant l’arrivée des premiers migrateurs, plusieurs nichoirs artificiels provisoires sur le site de l’ancien Hôpital Chalucet afin d’offrir un gîte aux Martinets délogés l’an dernier lors des travaux de démolition.
→L’entreprise Bouygues Immobilier et le Groupe ELAN porteurs du référentiel http://cibi-biodivercity.com/biodivercity doivent également intégrer des nichoirs à Martinets dans des bâtiments de l’éco quartier de Font-Pré en construction (800 logements sur 30 000 m2).
→Du côté LPO PACA et bénévoles, dès l’installation des premiers Martinets, nous reprendrons cette année nos prospections dans plusieurs quartiers qui n’ont pas été, par manque de temps, recensés l’an dernier, comme l’ilot Montety qui fait partie d’un projet tentaculaire de réhabilitation urbaine. Une quarantaine de nids de Martinets y ont été observés l’an dernier en 3 soirées seulement.
→Une conférence sur les Martinets et Hirondelles sera présentée par Elise Cougnenc (LPO PACA) le Mardi 30 mars à 17h45 au Collège Peiresc de Toulon qui marquera le début de la SAISON 2 pour les Martinets de Toulon.
Katherine (12 mars 2016)
Si vous êtes intéressés par le recensement 2016 merci de m’adresser un mel
Katherine.dubourg@yahoo.fr
Les photos ont été aimablement fournies par Swift-conservation.org