Dimanche 26 avril
relayé localement par le Parc National des Écrins, animé par Damien Combrisson
avec : Marc, Nans, Damien… et une quinzaine de quidams
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Il s’agissait de visiter le fameux site des sonneurs à ventre jaunes de la plaine du Roc, à Embrun pour se donner l’occasion de parler d’eux… et des autres amphibiens.
On s’est pas gênés, tiens !
Damien, chef d’orchestre. Si vous voulez apprendre tout ce qu’il a dit et tout ce qui est intéressant sur le sujet, ce n’est pas possible sur ce blog, vous n’aviez qu’à y être ! Mais je peux vous résumer l’affaire.
Le héros, aujourd’hui, est le sonneur à ventre jaune, donc. Damien en capture un pour nous le présenter. Il est gros comme une petite prune (je trouve rien d’autre comme comparaison et pas le temps de chercher !). La couleur est noire uniforme, y compris les yeux — la pupille est en forme de cœur — et le ventre est jaune maculé de taches noires, différentes d’un individu à l’autre, une carte d’identité, donc. Ce qui est bien pratique pour les reconnaître, les distinguer et les compter, finalement. Finalement, il y en a environ 600 sur ce petit site. Saperlipopette !
Le comptage est facilité par cette carte d’identité car on peut utiliser la méthode CMR : Capture, Marquage Recapture. Remplacez dans votre tête, si vous en disposez d’une, « Marquage » par « Photo ». Renseignez-vous sur la méthode pour en savoir plus. C’est intéressant.
C’est la plus grande colonie des Hautes-Alpes, le seul département de Paca a abriter cet adorable petit crapaud, discret, gentil et tout.
Mais pour observer son ventre, il est pudique et ne se laisse pas faire. Il suffit alors de le masser doucement, ça le calme et l’endort presque pendant un tiers de minute. Quand Damien l’a fait la première fois, toute le monde faisait Ooooh, tout le monde faisait Aaaah !
On en profite pour rappeler une recommandation lors du « tripotage » d’amphibiens : il faut se mouiller les mains avant pour ne pas retirer trop de mucus de la peau de l’animal qui n’a rien demandé. Et on ne se frotte pas les yeux, la bouche ou autres téguments, muqueuses et plaies après ! C’est toxique. Lui, c’est l’amphibien le plus toxique d’Europe ! À part moi !
Pourquoi est-il jaune ? Vous le savez. C’est comme pour tous les autres animaux prédatés (amphibiens, insectes…) : couleur vive = toxine, poison, caca boudin, pouah, pas bon, pas touche ! Les prédateurs font marche arrière quand le crapaud se retourne pour montrer son ventre.
Allez, passage obligé d’une leçon de chose : quels sont ses prédateur ?
Les échassiers, les hérissons, renards, putois, couleuvres, blaireaux, et beaucoup d’autres gourmands mais, si vous avez bien suivi, ce ne sont pas, non, des prédateurs habituels : ils y goûtent une fois mais pas deux (retour à beurk, pouah, caca boudin…).
Celui qu’on a est un mâle : il a des tubercules gris allongés sur les avant-bras juste en aval du coude. Ils lui permettent de bien agripper Madame.
Le sonneur est une espèce pionnière : il n’aime pas les milieux déjà âgés et colonisés mais préfère de loin les milieux nouvellement crées, comme les ornières laissées par les tracteurs et qui se remplissent d’eau dès que la pluie tombe. Ces sites sont souvent des micro-sites, ce qui a de l’importance pour la reproduction : les arrivées des reproducteurs se font graduellement et non massivement à une date donnée comme chez la plupart des espèces (grenouille rousse, crapaud commun…). Les premières pontes interviennent fin avril, bien plus tard que celles de la grenouille rousse (pour rappel : ponte en amas), début mars, et celles du crapaud commun (pour rappel, ponte en filaments autours de la végétation), mi-mars. Les œufs sont déposés à l’unité ou par toutes petites grappes d’une dizaine d’œufs. Par contre, la reproduction se poursuit jusqu’au mois d’août pour le sonneur à ventre jaune. C’est donc une succession d’individus qui sortent des trous où ils ont hiverné, trous de campagnols, interstices entre les pierres, etc, pour aller se reproduire dans la petite mare, temporaire le plus souvent.
Il s’agit donc d’une stratégie intelligente puisque la ponte est étalée dans le temps sur un site qui a de gros risque de disparaître.
Le travail de conservation du Parc a été de creuser 5 mares artificielles pour attirer les sonneur de leur site d’origine pollué et se comblant, situé à deux cents mètres. Ces 5 mares sont toutes différentes : l’une est un milieu forestier (sous les arbres, alimentée des seules feuilles d’arbres comme végétation), la deuxième est étroite et peu profonde, la troisième est plus grande et plus profonde, colonisée dans sa moitié par des roseaux, la quatrième est petite et peu profonde. La cinquième est assez jeune, interdite d’accès et laissée vierge quand la plus grande est entretenue. Ça permet de déterminer quel est le meilleur milieu pour les sonneurs. La mare originale est laissée à l’abandon et devra subir bientôt une dépollution (plastiques, matériaux exogènes divers déversés…).
Le brassage génétique sur ce secteur semble peu facilité : pas de présence de sonneurs en amont, cloisonnement vers l’aval, pas de corridors écologiques…
À côté des mares, que voyez-vous ? Un tas de cailloux. À qu’est-ce que ça sert pour ?
La vie du sonneur est à la fois aquatique et terrestre. Il a besoin d’un site pour hiverner. Un trou a été creusé, rempli de vieilles souches de saules puis d’une couche de gros cailloux entremêlés de terre. Excellent pour dormir. Ce dortoir est surélevé pour permettre aux crapauds de se réfugier en surface en cas d’inondations (intentionnelles et régulières pour irriguer la plaine du Roc).
Ces sonneurs-là, oui ici, sont vraiment bichonnés : on surveille l’apparition possible d’une maladie redoutable de la plupart des amphibiens, une mycose au nom barbare (la chytridiomycose, je vous avais prévenus) qui déciment les colonies sur les cinq continents. Bon, nos sonneurs à nous sont sains, pour le moment.
Ce crapaud est une espèce longévive pour un amphibien (qui vit longtemps, quoi, une quinzaine d’années à l’état naturel). Sa stratégie de reproduction est donc davantage de type K que de type R, c’est-à-dire que… non, voyez ça vous-même dans les livres qui vont bien.
Bonus : quelle est la différence entre un têtard de grenouille rousse et un têtard de crapaud commun ? Le premier est plus gros, si on en voit de plusieurs sortes dans un même plan d’eau, car la grenouille pond avant (souvenez-vous, début mars) et sa couleur est plus brune. Le têtard du crapaud, par conséquent, est plus petit et noir, très noir.
Le développement des têtard est tributaire de la température de l’eau. Une mare grande et peu profonde sera plus chaude, les têtards s’y développeront vite, mais cette même mare, en été, sera moins favorable car sa faible profondeur aura pour conséquence une plus faible oxygénation.
Un lac d’altitude, le lac du Distroit, par exemple, demandera deux années aux têtards pour terminer leur métamorphose.
Et voilà !