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Activités du Groupe LPO Pays Briançonnais

La Loutre est-elle de retour dans la Haute-Durance ?

Un texte de Rudi KAINCZ

Mi-février 2024, des empreintes de Loutre auraient été vues à l’Argentière-la-Bessée. Quelques semaines plus tard, le jeudi 21 mars 2024 au matin, une équipe de 8 personnes s’est retrouvée au bord de la Durance pour tenter de confirmer la présence de la Loutre sur la commune.

Le niveau d’eau très bas à cette saison, l’absence de précipitation les jours précédents et la météo clémente ont permis de très bonnes conditions de prospection.

 Après un bref topo sur les indices de présence à rechercher, nous avons commencé à remonter la Durance en rive gauche à partir du pont de la rue de la République. Plusieurs petites plages de sable ou de boue humide permettent l’impression de nombreuses empreintes, autour desquelles le groupe s’attarde pour identifier leurs auteurs. Il s’agit principalement de Chiens dans ce secteur prisé des promeneurs, à quelques encablures du village, avec également quelques traces de Chats domestiques et de Chevreuils…

A peine 500 m en amont du pont, une série de traces attire notre attention : les prospections ont à peine commencé qu’on tombe sur une voie bien différente, nettement imprimée dans le sable humide. Les cinq doigts marquant le sable et la forme de la voie, empreintes groupées par 4 trahissent le déplacement d’un Mustélidé. La disposition des doigts est étalée en éventail et la trace des griffes touche la trace des pelotes : Ces critères distinctifs semblent bien indiquer la voie d’une Loutre d’Europe !

Dessins de Chiara BONOTTO

Les mesures des empreintes ainsi que de la longueur du pas (distance entre deux empreintes successives de la même patte) correspondent à de la Loutre, bien que la taille des empreintes soit plutôt dans la moyenne basse :  cela peut s’expliquer par le substrat sableux pouvant se rétracter /décompresser en fonction de l’humidité. En revanche, il manque un critère déterminant. En effet la patte postérieure de la Loutre est caractérisée par une marque de talon en arrière de la pelote plantaire, que nous ne parvenons pas à distinguer. C’est là toute la difficulté du pistage : la netteté des traces est rarement parfaite pour conclure à une identification certaine !

Nous poursuivons donc nos recherches, pour tomber rapidement sur d’autres pistes partiellement marquées dans le sable. Ces nouvelles empreintes sont similaires aux précédentes et ne nous apportent pas de renseignements supplémentaires :  l’animal se déplace à faible allure le long de la rivière…

Enfin, dans le sable sec d’une petite plage, nous trouvons une piste similaire mais dont les empreintes de patte postérieure semblent mieux marquées : on note la légère marque d’un talon sur les deux empreintes postérieures de la même voie. Mais à cet endroit le sable est sec et constellé de micro-reliefs. Est-ce vraiment la trace tant convoitée ou seulement un artifice ? Les empreintes sont plus grandes, mais ce peut être un effet du sable sec. Cela discriminerait pourtant la Martre des pins, autre Mustélidé dont les traces plus petites pourraient être confondues avec celle de la Loutre et seule autre espèce qui pourrait être l’auteur de ces empreintes !

En quête d’une épreinte, crotte caractéristique de l’espèce et dont la découverte lèverait tous nos doutes, nous poursuivons nos recherches jusqu’à l’entrée des gorges, en amont de la passerelle de la rue des Vaudois. Nous redescendons ensuite la rive droite jusqu’à notre point de départ, sans trouver la moindre épreinte ni de nouvelles empreintes.

Les jours suivants, deux agents du Parc National des Écrins, prévenus de notre découverte, prospectent le même secteur à la recherche de plus d’indices. Équipés de bottes montantes, ils remontent plus loin dans les gorges de la Durance, parcourent la rivière en aval jusqu’au pont SNCF sur la Durance, et remontent également un tronçon de la Gyronde jusqu’au niveau des Vigneaux. Ils ne trouveront pas d’autres traces que celles précédemment observées, et toujours aucune épreinte.

Mercredi 3 avril au matin, une nouvelle prospection Loutre est organisée au sein du groupe local LPO : ce coup-ci 4 personnes répondent à l’appel pour prospecter la Durance en aval du pont SNCF. Les milieux s’avèrent moins propices à la découverte d’empreintes (moins de plages de sable/boue) et nous ne trouverons rien d’autre que de gigantesques traces de Canidés… Et son propriétaire, un énorme chien de défense des troupeaux un peu trop affectueux !

Plusieurs espèces d’oiseaux sont observées, dont une Grande aigrette, trois Hérons cendrés en nidification et deux Milans noirs.

L’après-midi, nous remontons également une partie de la Gyronde entre la Bâtie des Vigneaux et les Vigneaux. De nombreuses empreintes sont observées (Blaireau, Renard, Chien, Cerf, Chevreuil) mais toujours aucune nouvelle empreinte de Loutre ni épreinte.

Dessin de Chiara BONOTTO

Autrefois commune sur l’ensemble des départements français, la Loutre d’Europe a bien failli disparaître de France au XXe siècle : la chasse voire sa destruction systématique ainsi que l’importante dégradation des habitats aquatiques entre les années 1940 et 1970 ont conduit à sa disparition dans de nombreux cours d’eau, et notamment de la région PACA dès 1970. A cette date, seules les populations de la façade Atlantique et de l’Ouest du Massif central ont pu se maintenir.

Protégée depuis 1981, elle recolonise depuis naturellement ses anciens territoires. Elle est de retour dans la région depuis 2009 avec une première observation au niveau du Rhône, dans le Vaucluse. Depuis, elle  recolonise la Durance, remontant doucement son cours. La donnée la plus septentrionale est une observation directe faite le 15 décembre 2023 sur la commune de Rousset (05), juste en amont du barrage de Serre-Ponçon.

La Haute Durance se trouve sur le front de colonisation de l’espèce : dans ce cas de figure les individus en dispersion – et donc sans véritable concurrence – ne marquent pas forcément leur territoire à l’aide d’épreintes ou de mictions. Compte tenu du caractère discret de l’espèce qui rend difficile l’observation directe d’individus, les empreintes sont pour l’instant la seule trace de la Loutre dans le secteur et ces données méritent confirmations.

Conclusion : promeneurs de la Durance, ouvrez l’œil !

Que vous soyez naturaliste, pêcheur, kayakiste, randonneur ou fréquentant la rivière pour toute autre raison, soyez attentifs : une Loutre pourrait plonger sans bruit à votre approche, ou avoir laissé une épreinte caractéristique sur une grosse pierre ou sous un pont. Toute donnée confirmant la présence de la Loutre serait précieuse !

Vous pouvez transmettre vos informations à la LPO ou au Parc National des Écrins.

Les personne intéressée peuvent consulter les deux excellents livrets d’indices de présence de la Loutre édités par l’association Groupe mammalogique breton.

Identifier les indices de présence de la Loutre d’Europe ‘Lutra lutra’ 1- Épreintes et marquages, GMB, 2011

Identification des indices de présence de la Loutre d’Europe ‘Lutra lutra’ – 2. Empreintes et autres indices, GMB, 2011

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