Au coucher du soleil, une silhouette s’active dans l’eau. Elle nage en ondulant son corps très allongé. Elle se rapproche de la berge, puis sort de l’eau et rampe afin de rejoindre un autre cours d’eau tout proche. On dirait un serpent, pourtant ses nageoires ne laissent pas de doute, il s’agit bien là d’un poisson : c’est l’anguille d’Europe. D’ailleurs son nom vient du latin anguilla dérivé du mot anguis qui signifie serpent.
Qui est-elle ?
L’anguille d’Europe, ou Anguilla anguilla de son nom scientifique, est un poisson de la famille des anguillidés. C’est un poisson dit amphihalin, c’est-à-dire qu’elle passe une partie de sa vie en eau douce et une autre dans l’océan. Contrairement à la majorité des poissons migrateurs dits anadromes, qui se développent en eau salée et viennent se reproduire en eau douce comme le saumon, l’anguille fait le contraire. On dit que c’est un poisson catadrome, elle se développe et grandit en eau douce et part se reproduire dans les eaux salées de l’océan.
Son aire de répartition s’étend sur toute l’Europe, de l’Islande à la mer Noire et jusqu’en Afrique du Nord. Les résultats des études génétiques les plus récentes montrent que toutes les anguilles européennes forment une seule population homogène. Cela implique que toutes les anguilles se reproduisent au même endroit et très probablement en mer des Sargasses au large de la Floride.
Pourquoi « très probablement » ? Et bien parce que l’anguille reste très mystérieuse quant à sa vie en eau salée et sa reproduction. En effet, personne n’a jamais observé d’anguille adulte dans l’océan atlantique, ni même dans la mer des Sargasses, où elle se reproduit. Il n’a même jamais été retrouvé d’œufs. Alors comment sait-on qu’elle s’y reproduit ? Et bien, c’est en mer des Sargasses qu’ont été retrouvés les plus petits leptocéphales, ne mesurant que quelques millimètres, qui ne sont rien d’autre que les larves de l’anguille, soit le stade de développement qui survient juste après l’éclosion des œufs.
Ces leptocéphales, minuscules, transparents et au corps aplati se laissent dériver dans le courant du Gulf Stream pour arriver environ 6000 km et un an plus tard près des côtes européennes. A l’approche du rivage, ces larves vont se transformer en petites anguilles transparentes qu’on l’on appelle civelles. Alors qu’elles ne mesurent que quelques centimètres, elles vont remonter fleuves et rivières afin d’y trouver un endroit où grandir et se développer. L’anguille va ainsi vivre quelques années en eau douce ou saumâtre, phase au cours de laquelle on l’appelle anguille jaune ou verte. Les mâles mesurent alors moins de 45 cm, mais les femelles peuvent atteindre la taille d’un mètre. Son dos est jaune à vert foncé, en fonction de sa maturité, et son ventre blanc. Elle dispose de deux nageoires pectorales et les nageoires caudale, anale et dorsale sont soudées. Les mâles passent entre 3 et 5 ans environ en eau douce tandis que les femelles, qui deviennent plus grosses, y passent en moyenne entre 7 et 15 ans avec des records compris entre 40 et 50 ans. Le régime alimentaire de l’anguille est très varié, elle peut se nourrir de crustacés, de mollusques, de poissons ou d’invertébrés.
Au terme de cette phase sédentaire de croissance, les anguilles subissent une dernière métamorphose. Leur dos devient gris-argent, leurs nageoires pectorales s’allongent, le diamètre de l’œil augmente et elles arrêtent de se nourrir. Ces anguilles, dites alors argentées, dévalent les cours d’eau et sont prêtes à effectuer leur ultime migration vers la mer des Sargasses où elles vont pondre entre 1 et 2 millions d’œufs avant de succomber à cet éreintant voyage.
Autrefois très abondante, l’anguille européenne a subi un brusque effondrement de sa population dans les années 80 et son déclin se poursuit si bien qu’elle est aujourd’hui classée « en danger critique d’extinction ». La reproduction en captivité n’a jamais abouti et les leptocéphales pêchés en mer pour l’élevage ne survivent pas plus de quelques jours ou semaines. Pour tenter de comprendre et enrayer ce déclin, des chercheurs continuent de l’étudier afin d’élucider les mystères qui planent sur sa vie marine et sa reproduction.
Récemment, des anguilles ont été équipées de balises avant leur migration. Les résultats ont montré qu’elles peuvent descendre jusqu’à 1200 mètres de profondeur en journée et remontent entre 50 et 100 mètres la nuit. Elles sont aussi capables de parcourir environ 50 kilomètres par jour. Cependant aucune des anguilles équipées n’est arrivée plus loin que les Açores durant les 6 mois de durée de vie de la balise sans compter celles prédatées en chemin. On connait donc un peu mieux ses conditions de vie en mer mais les routes migratoires et sa reproduction restent un mystère.
Pour la voir...
De par son activité nocturne ou crépusculaire, l’anguille n’est pas facile à voir. Mais avec un peu de chance, vous pourrez la trouver dans les cours d’eau proche de chez vous ou dans les Salins d’Hyères. Pour en apprendre plus sur l’histoire passionnante de l’anguille et des poissons migrateurs, vous pouvez vous rendre à l’Espace Nature des Vieux Salins où une exposition et une borne interactive leur sont dédiées jusqu’au 28 février. Informations et renseignements au 04.94.01.09.77. Ouverture du mercredi au dimanche de 9h30 à 16h30.