Rien ne justifie cette année la reconduite à l'identique de la dérogation pour prolonger l’utilisation par l’industrie betteravière française de ces pesticides toxiques pour la biodiversité.
Strictement identique à ceux de 2021 et 2022, un projet d’arrêté a été soumis à la consultation publique jusqu’au 24 janvier 2023 afin de renouveler, pour une durée de 120 jours à compter de sa signature, la dérogation permettant l’emploi de semences de betteraves sucrières enrobées de la substance insecticide imidaclopride ou thiamethoxam, qui élimine les pucerons vecteurs de la jaunisse.
Ce renouvellement correspond à l’application de la loi du 14 décembre 2020 « relative aux conditions de mise sur le marché de certains produits phytopharmaceutiques en cas de danger sanitaire pour les betteraves sucrières », à laquelle la LPO s’était alors opposée et dont les dispositions permettent aux betteraviers de déroger temporairement jusqu’au 1er juillet 2023 à l’interdiction d’utilisation des néonicotinoïdes en vigueur depuis le 1er septembre 2018 suite à la loi biodiversité du 8 août 2016.
Pour la LPO, membre du Conseil de surveillance sur les néonicotinoïdes, il est indispensable que soit prises en compte les dernières études scientifiques réalisées dans le cadre du Plan National Recherche et Innovation (PNRI) démontrant que le risque épidémique de jaunisse de la betterave est bien moindre qu'en 2020. En effet, parmi les 264 plantes analysées par l'Institut Technique de la Betterave et l'INRAE début décembre 2022, aucune ne se révèle positive au virus de la jaunisse, et seules 16 plantes présentent un résultat« douteux », soit environ 6%. Or, pour que la maladie s'exprime, la présence d'un réservoir viral important est nécessaire en plus de l'apparition précoce de pucerons, vecteurs du virus. En outre, depuis 2020, plusieurs alternatives efficaces à l'utilisation de néonicotinoïdes ont été identifiées par un rapport de l'ANSES, ainsi que par le PNRI sur la jaunisse de la betterave, telles que l'utilisation de prédateurs naturels des pucerons (syrphes, coccinelles, chrysopes) par la plantation de bandes enherbées et fleuries ou leur relâcher; l'introduction de plantes compagnes (notamment l'avoine); l'utilisation de phéromones, la pulvérisation de produits aphicides moins toxiques pour les écosystèmes ou encore le développement de variétés de betteraves résistantes.
Ainsi, le renouvellement de la dérogation ne respecterait plus l'article 53 du règlement européen du 21 octobre 2009 concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques, qui stipule qu'un état membre peut bénéficier d'une telle disposition uniquement en cas de « situation d'urgence » et de « danger qui ne peut être maitrisé par d'autres moyens raisonnables ». La Belgique, dont les zones de production de betteraves sont proches de celles de la France, a d'ailleurs décidé de ne pas renouveler sa dérogation similaire cette année.
Les crises successives que traversent la filière betterave mettent surtout en lumière le fonctionnement d'un modèle agricole productiviste à bout de souffle, exacerbé par la fin des quotas obtenus par la filière elle-même en 2017, et maintenant incapable de résilience face à une maladie qui a pourtant toujours existé.
De la même manière que les années précédentes, la LPO réaffirme donc sa forte opposition à toute nouvelle dérogation pour l'utilisation de ces substances extrêmement dangereuses tant pour l'environnement que pour la santé, et a envoyé en ce sens un courrier à la Première Ministre et au Ministre de l'Agriculture cosigné par les associations Agir pour l'environnement et Générations futures.
Un poison pour la biodiversité
L'imidaclopride est qualifié de « tueur d’abeilles » en raison de ses effets dévastateurs pour les pollinisateurs, même à des doses infinitésimales. Mais son impact sur la biodiversité ne s’arrête pas là car son mode d’action le rend toxique pour de nombreuses autres espèces, en particulier les oiseaux pour lesquels les réseaux de surveillance environnementale de différents pays européens, dont la France, ont révélé de très nombreux cas d’empoisonnement par les produits phytopharmaceutiques à proximité des zones agricoles. Pour les granivores, les cas répertoriés depuis le début des années 2000 sont très majoritairement causés par l’ingestion de semences traitées avec des insecticides néonicotinoïdes, dont six graines suffisent à tuer instantanément une Perdrix grise !
Des effets indirects liés à la disparition des invertébrés aquatiques et terrestres dont d’autres espèces se nourrissent sont également constatés. Des travaux effectués aux Etats-Unis, aux Pays-Bas et en France ont démontré une corrélation spatiale et temporelle établissant le lien de causalité entre la commercialisation massive de l’imidaclopride et la chute des effectifs d’oiseaux en zones rurales, qui ont diminué de près d’un tiers en 30 ans dans l’hexagone.
Soutenue par l’expertise juridique de l’association Intérêt à Agir et celle de Me Sébastien Mabile du cabinet Seattle Avocats, La LPO a assigné le 21 mai 2021 devant le Tribunal judiciaire de Lyon les principaux producteurs, importateurs et distributeurs d’imidaclopride en France afin de faire reconnaître leur responsabilité dans l’effondrement des populations d’oiseaux des milieux agricoles.