La Réserve naturelle nationale de Camargue, créée en 1927 et gérée par la Société nationale de protection de la nature (SNPN), a été d'emblée pensée et conçue comme un véritable laboratoire de terrain.
Dans l'esprit de ses créateurs elle était vouée non seulement à la protection et la conservation de la nature mais aussi à devenir un espace de recherche scientifique.
Aujourd'hui, elle peut s'enorgueillir non seulement d'une reconnaissance internationale de ses richesses naturelles (sites Natura 2000, ZNIEFF, première zone humide Ramsar de France, réserve intégrale de l'UICN) mais aussi d'un solide bagage scientifique : cinquante années d'inventaires précédant une quarantaine d'années de suivi et de recherches sur le fonctionnement des écosystèmes camarguais.
L'intérêt des suivis scientifiques tient en premier lieu à la spécificité et à la complexité de ce territoire. Les 13 117 ha de la réserve sont situés au coeur du vaste delta du Rhône, à la confluence des eaux douces du fleuve et des eaux salées de la Méditerranée, soumis au climat qui s'exprime ici dans tous ses excès, auquel s'ajoute une multitude d'usages anthropiques. Il s'agit des mosaïques d'habitats en perpétuelle mutation, une véritable marque de fabrique des écosystèmes de Camargue !
Les suivis sont la base de la gestion quotidienne de la réserve. Ce sont aussi les mesures de son état de santé à partir d'un certain nombre de paramètres recueillis : nombre d'oiseaux, de poissons, de molécules de contaminants, recul de la côte, évolutions climatiques... La gestion de la réserve de Camargue ne se limite toutefois pas, comme c'est le cas de la plupart des réserves naturelles, au suivi des espèces emblématiques. L'équipe scientifique se pose constamment les questions d'interprétation et de valorisation des résultats sur les court, moyen et long termes, tout en tenant compte des changements globaux et de l'évolution du contexte socio-économique. On s'aperçoit rapidement que ces réflexions dépassent largement le cadre géographique de la réserve : la problématique locale conduit vers une logique beaucoup plus intégratrice des enjeux environnementaux qui couvre de nombreux secteurs limitrophes. Ceci explique une forte implication du gestionnaire dans des instances thématiques et des partenariats à l'échelle de la Camargue.
L'intérêt d'un siècle d'observations est étendu ensuite à la compréhension générale de l'évolution de la Camargue : avec le recul et leur mise en perspective sur plusieurs décennies, les suivis scientifiques permettent d'avoir une vision plus large, actualisée de l'histoire de ce territoire, de prévoir son évolution future et même ouvrir la voie à de nouveaux sujets de recherche. Ils sont replacés ensuite dans les grands thèmes des sciences de la vie comme la naturalité et la biodiversité; sont abordées les questions d'intervention sur les équilibres naturels, « de gestion ou d'accompagnement » de la nature...
Au fil de ce numéro, le lecteur sera amené à se demander ce que signifie cette obstination à protéger quelques arpents de salicornes et de lagunes durant plusieurs décennies au regard d'une histoire longue de plusieurs milliards d'années.
Ce numéro spécial du Courrier de la Nature, rédigé principalement par l'équipe scientifique de la réserve de Camargue, rend hommage à un lieu d'exception mais aussi à un homme d'exception, Eric Coulet, directeur de la réserve, qui, après quarante ans passés au service de la nature camarguaise, tirera bientôt sa révérence...