Le Bruant ortolan est une espèce au cœur des plus grandes polémiques entre chasseurs et protecteurs de la nature depuis plus de 30 ans et, chacun a encore en tête, les images de l’agression de notre président Allain Bougrain Dubourg par un homme en slip, armé d’une pelle en novembre 2015. Après de nombreuses années de luttes de la Ligue pour la Protection des Oiseaux et une enquête scientifique de cinq années sous l’égide du Muséum National d’Histoire Naturelle (MNHM), l’état français a décidé que le Bruant ortolan ne serait plus une espèce dont la chasse serait tolérée en France.
Historique
Depuis les années 80, les plus grands de ce monde, sous l’influence du président Mitterrand et des élus du sud-ouest ont cédé un jour à la tentation de gouter à la chair tendre de ce passereau protégé. Les oiseaux capturés en toute illégalité, avec l’aval des autorités, étaient placés dans une boîte à l’abri de la lumière puis engraissés de millet blanc avant d’être noyés dans de l’armagnac… Assaisonnés, puis plumés, les oiseaux étaient cuisinés pour enfin être avalés d’un seul trait, selon un rituel bien établi, serviette sur la tête, pour en garder toutes les senteurs et cacher les mangeurs les plus indélicats.
Inscrit à l’annexe I de la directive Oiseaux de 1979, le Bruant ortolan n’a été réellement protégé en France qu’en 1999 par arrêté ministériel et sur pression de la LPO. Avant cette date, il n’était pas protégé en France mais néanmoins interdit à la chasse puisque ne figurant pas sur la liste exhaustive des espèces gibiers chassables… La différence est toutefois importante ….car le régime des sanctions diffère entre les deux statuts : avant 1999 chasser un ortolan non chassable était une contravention de 5ème classe … Depuis 1999, chasser un ortolan protégé est un délit et depuis la loi biodiversité, passible de 150 000 € d’amende et 2 ans de prison !! Il a fallu attendre donc 20 ans pour que ce statut change même si, il y a encore quelques mois la loi n'était clairement pas appliquée dans les Landes ! Dès lors un bras de fer s’engage entre ses protecteurs, l’Europe et les fédérations de chasseurs du sud-ouest. Pour les uns, l’espèce montre un danger d'extinction en métropole mais aussi dans le nord de l’Europe. Pour les autres, sa chasse doit continuer car les populations traversant la France, proviennent de Russie, pays où les effectifs sont importants et approchent les 4,3 millions d’individus !
Dans ce flou juridique et scientifique, un véritable trafic s’organise avec quelques 30 000 ortolans braconnés chaque automne, vendus de 100 à 150 euros pièces sous le manteau, aussi bien aux restaurateurs de renom qui en font les éloges, qu’à monsieur tout le monde.
En décembre 2016, après deux avertissements, l'exécutif européen renvoie la France devant la Cour de Justice de l'Union Européenne pour les «violations persistantes de la législation de l'UE relative à la protection des oiseaux sauvages».
Face à la pression de l’Europe et à ses possibles sanctions financières conséquentes (80 à 90 millions d’euros !) et à des constats très alarmants (baisse de 57 % des effectifs en France et de 88 % en Europe), le Ministère de la Transition écologique et solidaire désigne le MNHM pour réaliser une étude complète sur la migration du Bruant ortolan et sur l’état de ses populations en Europe, mais aussi jusqu’aux confins de la Russie. Cette étude soit dit en passant fut financée par le Conseil Général des Landes, la Région Aquitaine puis Nouvelle Aquitaine, la Fédération Départementale des Chasseurs des Landes (FDC40), l’Association Départementale des Chasses Traditionnelles à la Matole (ADCTM) et le ministère de la Transition écologique.
Une véritable enquête scientifique
Sous la responsabilité de Frédéric Jiguet, directeur du Centre de Recherches sur la Biologie des Populations d’Oiseaux, des centaines de collaborateurs, de spécialistes et de bagueurs (dont un salarié de la LPO PACA) ont été mobilisés à travers 13 pays où nidifie l’ortolan et 2 autres pays où l’espèce passe en migration (Koweit et Israël).
Les principaux objectifs de cette étude :
- identifier les principales voies de migration et les zones d’hivernage des populations nichant en Europe ;
- déterminer l’origine, le nombre et la tendance temporelle récente des Bruants ortolans migrant par le sud-ouest de la France ;
- identifier les principaux sites de halte migratoire en automne et au printemps sur chaque voie de migration ;
- déterminer l’importance des populations d’ortolan nichant en Russie parmi les migrateurs visitant le sud-ouest de la France.
Pour parvenir à ces résultats, trois techniques principales ont été utilisées avec l’emploi de photomètres géolocalisateurs sur les mâles nicheurs, les isotopes stables et la génétique sur les oiseaux nicheurs mais également les migrateurs (au printemps et à l’automne).
Après 5 années de recherches, les résultats obtenus sont assez extraordinaires, mais aussi très alarmants. Deux voies migratoires sont clairement identifiées via les géolocalisateurs. Une voie occidentale qui concerne les populations nichant à l’ouest de la ligne de partage située dans le centre de l’Europe et une voie orientale utilisée par les populations nichant en Russie et dans tous les pays située à l’Est d’une ligne de partage reliant la Biélorussie à la Serbie. Ce premier constat est sans appel sur l’origine des oiseaux traversant la France et dément formellement la théorie des oiseaux russes.
Les zones d’hivernage autrefois inconnues des Bruants ortolans sont désormais identifiées avec deux zones géographiques pour chaque voie. La population occidentale hiverne en Afrique de l’Ouest, de la Sierra Leone au sud de la Mauritanie et du Mali et surtout en Guinée. Les oiseaux orientaux quant à eux passent l’hiver sur les hauts plateaux éthiopiens et érythréens en Afrique de l’est.
Enfin, une estimation de 81 000 couples a été retenue, pour emprunter la voie occidentale dont 75 % d’oiseaux polonais, mais aussi finlandais, allemands, suédois ou norvégiens. Le taux de prélèvement concédé par la directive européenne pour une espèce chassée doit correspondre à 1 % de la mortalité naturelle annuelle de l'espèce. Avec 81 000 couples, cela correspondrait à environ 1000 oiseaux par an, bien moindre que les 30 000 oiseaux prélevés chaque automne dans le sud-ouest. Ces prélèvements illégaux mais aussi la perte des habitats de reproduction sont donc très clairement à l’origine du déclin de -20 à -30 % enregistré dans ces pays de 2000 à 2014, soit une disparition de 1500 couples nicheurs/an. Enfin, la génétique a permis de constater l’isolement progressif de la population scandinave qui augure une diminution de la diversité génétique, qui agit inévitablement sur ses capacités d’adaptation face à un déclin généralisé.