La LPO interpelle le Ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation pour qu’il revienne sur cette position qui encourage la surpêche.
La LPO, Bloom et le WWF France ont envoyé, vendredi 28 février, une lettre publique à Didier Guillaume, Ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation, avec copie à Edouard Philippe, Premier Ministre, et à Elisabeth Borne, Ministre de la Transition écologique et solidaire, afin d’exprimer leurs inquiétudes face à la position française sur le Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche (FEAMP) et faire une demande formelle de rendez-vous.
Courrier envoyé au Ministre
« Monsieur le Ministre,
Les associations environnementales BLOOM, la LPO et le WWF France expriment leurs plus vives inquiétudes concernant l'orientation prise dans les négociations en cours sur le futur Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche (FEAMP). Ce fonds déterminera l’allocation de plus de 6 milliards d’euros de subventions publiques aux secteurs de la pêche et de l’aquaculture ainsi qu’à la protection du milieu marin pour la période 2021-2027. Or, la dernière évaluation de la Plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) dresse un constat accablant : l’océan subit un effondrement de sa biodiversité d'une ampleur jamais vue depuis 65 millions d'années, en premier lieu en raison d'une mauvaise gestion de la pêche notamment alimentée par des subventions néfastes.
Loin d’amorcer le virage que de telles circonstances imposent, le Conseil défend une position insoutenable sur le prochain FEAMP. Fortement influencés par les demandes des intérêts industriels privés, les États européens ont adopté une approche générale qui incite à une gestion défaillante de la pêche européenne et encourage la destruction des écosystèmes marins. Elle introduit et maintient des subventions néfastes, y compris par des biais détournés, la possibilité en utilisant l'argent des contribuables européens d’inciter à la construction de nouveaux navires de pêche. Ces subventions, dont certaines sont interdites par l’Union européenne depuis quinze ans, vont augmenter la surcapacité de la flotte et la surpêche. La réintroduction de ces aides aura des répercussions écosystémiques à la fois dans les eaux européennes mais aussi au-delà.
Depuis plus de vingt ans, les scientifiques critiquent à l’unisson ces subventions dont l’impact sur les écosystèmes marins a été clairement établi. Il existe également un consensus politique international sur la nécessité de les interdire. Ce consensus s’est traduit par l’adoption des Objectifs de développement durable (ODD) à l’Assemblée générale des Nations Unies en 2015. Plus particulièrement, l’ODD 14.6 – qui fixe à 2020 l’élimination des subventions néfastes qui encouragent la surcapacité, la surpêche et la pêche illicite, non déclarée et non réglementée – a contribué de façon décisive à la relance des discussions sur ce sujet à l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Aujourd’hui, les 164 États membres de l’OMC négocient activement un accord multilatéral qui vise à mettre en œuvre cet objectif.
Au lieu de soutenir pleinement cet objectif, la France n’hésite pas à mettre gravement en péril cet engagement crucial afin de satisfaire des intérêts de court terme plutôt que le bien public. Le gouvernement s’est ainsi positionné aux côtés de l’Espagne et de l’Italie en faveur de la réintroduction d’aides néfastes permettant in fine, malgré un discours d’affichage contraire, d’augmenter la capacité de pêche. Ces éléments ont fortement influencé le Conseil dont la position ne laisse que peu de place à une utilisation bénéfique de ce fonds européen. Ainsi, le soutien à la protection, à la restauration et à la connaissance du milieu marin ou encore l’amélioration de la gestion, du contrôle et de la collecte des données des activités de pêche y sont réduits à une portion congrue. En l’absence d’un changement de cap radical, l’adoption d’une telle position porterait gravement atteinte à la crédibilité internationale de l'Union européenne et compromettrait les négociations en cours au niveau de l'OMC ainsi que la réalisation de l'Agenda 2030 pour le développement durable fixé par les Nations Unies.
Le prochain FEAMP étant actuellement en cours de négociation dans le cadre des réunions de Trilogue, il est de la plus haute importance que les représentants de la France au sein du Conseil prennent fermement position contre l'introduction de subventions néfastes. Il serait en effet aussi incompréhensible qu’incohérent que la France soutienne de telles subventions alors qu’elle se veut leader sur la scène internationale en matière de biodiversité. Comment pourrait-elle afficher une exemplarité, en juin à Marseille lors du Congrès mondial de l’UICN, puis en Chine à Kunming à la COP 15 de la Convention sur la Diversité Biologique alors qu’elle négocierait en parallèle la réintroduction de subventions dommageables pour l’environnement marin, dont certaines supprimées en Europe voilà quinze ans ? Compte tenu de l'urgence de la situation et du poids de la France au Conseil, nous souhaiterions vous rencontrer dès que possible pour discuter de ces questions en détail.
En vous remerciant pour l’attention que vous pourrez porter à cette sollicitation, nous vous prions de croire, Monsieur le Ministre, en l’assurance de notre sincère considération. »
Signataires
Allain Bougrain Dubourg, président / LPO
Sabine Rosset, Directrice / Bloom
Véronique Andrieux, Directrive générale / WWF France
Pour une gestion durable de la pêche et la protection des écosystèmes marins
La LPO et de nombreuses autres ONG dont BirdLife, Bloom et le WWF France défendent une allocation du FEAMP à la gestion durable de la pêche et des écosystèmes marins. Pour ce faire, nous recommandons que la France, via son gouvernement et ses eurodéputés :
- Rejettent les subventions néfastes de construction de nouveau navires de pêche
- Rejettent les subventions néfastes pour la modernisation de la flotte et le remplacement des moteurs
- Assurent que 25% du budget soit alloué à la préservation de la nature
- Augmentent à 25% la partie du budget allouée aux contrôles, à la surveillance et à la collection de données
- Augmentent la transparence de l’utilisation du FEAMP par ses bénéficiaires afin d’éviter tout abus
Impact sur les oiseaux marins
200 000 oiseaux marins sont tués chaque année en Europe à cause des captures accidentelles lors des activités de pêche. A noter que les oiseaux marins constituent le groupe d’oiseaux le plus menacé, avec un déclin global de 70% depuis 1950. Cependant les oiseaux marins sont protégés au niveau européen par la Directive Oiseau. De ce fait, leurs captures accidentelles et le manque de gestion efficace des pêcheries en lien avec cette problématique constituent des infractions à la législation européenne.
Le FEAMP est un moyen pour lutter contre ces captures à condition qu’il soit correctement alloué. Par exemple, consacrer 25% du budget globale à la préservation de la nature pourrait entre autres servir à la mise en place de nouvelles mesures de prévention afin d’éviter les captures accidentelles d’espèces protégées. Et consacrer 25% de ce budget aux contrôles, à la surveillance et à la collecte de données, pourrait par ailleurs servir au développement et au renforcement de programmes d’observateurs embarqués adéquatement formés à la problématique des captures accidentelles d’oiseaux marins. Il est évidemment crucial que l’utilisation du FEAMP par ses bénéficiaires soit transparente et strictement contrôlée.