Le 19 février 2022, une chasseresse de 17 ans a accidentellement tué une randonneuse de 25 ans au cours d’une battue aux sangliers organisée sur la commune de Cassaniouze (Cantal). Ce drame insupportable, qui a ruiné la vie de plusieurs familles, rappelle que ce type de chasse, encouragé durant ces dernières années, est avant tout une activité dangereuse, à l’efficience contestable, dont les dérives en France doivent impérativement être corrigées.
La régulation du sanglier est au cœur de la problématique sécuritaire liée à la chasse. Environ 800.000 sangliers sont actuellement tués chaque année en France, contre à peine 30.000 il y a 50 ans, et leur nombre continue pourtant de croître. Or le tir de cet ongulé fait appel à des armes lourdes, le plus souvent des carabines offrant une portée jusqu’à 3 kilomètres et dont il existe des modèles semi-automatiques. L’animal est en général abattu en mouvement, ce qui augmente les probabilités de le rater. Ainsi, selon le Chasseur Français, la moyenne nationale serait de 6 à 8 munitions tirées pour chaque grand gibier prélevé, soit des millions de balles perdues dans la nature…
Diverses statistiques sont régulièrement présentées pour mettre en avant la diminution continue des accidents mortels dus à la chasse sans tenir compte de la forte décroissance en parallèle du nombre de chasseurs (2,5 millions en 1975, moins de 980.000 aujourd’hui).
Complicité de l’État
Suite à la mort de Morgan Keane le 25 décembre 2020, déjà lors d’une battue au sanglier, une pétition réclamant un renforcement des mesures de sécurité de la chasse avait réuni plus de 100000 signatures sur le site du Sénat, seuil nécessaire pour déclencher la mise en place d’une commission parlementaire chargée de se pencher sur le sujet. Cette commission a bien été créée mais est composée d’une majorité d’élus notoirement favorables à la chasse, au premier rang desquels son rapporteur le sénateur Patrick Chaize, ce qu’a dénoncé le Directeur Général de la LPO, Yves Vérilhac, lors de son audition le 8 février dernier.
Précédemment, un rapport parlementaire sur la problématique de la régulation du grand gibier avait été confié en mars 2019 au député Alain Péréa et au sénateur Jean-Noël Cardoux, respectivement Présidents des groupes d’études Chasse de l’Assemblée Nationale et du Sénat et eux-mêmes chasseurs. Le premier avait déclaré dans un tweet que la pratique du VTT devrait être interdite pendant la chasse après qu’un vététiste ait été accidentellement tué en Haute-Savoie le 13 octobre 2018 ! Le second demandait dans une question écrite au gouvernement en novembre 2017 d’autoriser les armes de poing afin que les personnes handicapées puissent aussi chasser…
Cette partialité manifeste n’est qu’une des nombreuses illustrations de la complaisance des pouvoirs publics face aux abus de la chasse et de leur réticence à réformer les pratiques cynégétiques dans notre pays.
Pompiers pyromanes
S’ils se présentent comme unique solution à la surabondance - réelle - des sangliers et aux dégâts - avérés – que ces derniers engendrent chez les agriculteurs, les chasseurs en sont en fait à l’origine : ils ont délibérément participé à l’explosion démographique des suidés avec l’objectif de préserver les populations de grand gibier, en pratiquant notamment le nourrissage (agrainage), le lâcher d’individus élevés en captivité ou en développant les chasses en enclos. Par décret ministériel du 29 janvier 2020, l’État français a pourtant préféré céder de nouveau aux lobbies cynégétiques et agricoles en étendant la période d’ouverture de la chasse au sanglier de début juin à fin mars, plutôt que de repenser sa stratégie de régulation, par exemple en professionnalisant une partie des abattages afin de ne plus s’en remettre exclusivement aux fédérations de chasse qui selon le propre aveu de leur dirigeant Willy Schraen n’en ont « rien à foutre de réguler» et privilégient « le plaisir de tuer » à l’intérêt général.
Manier des armes de gros calibres pour tuer des animaux pesant plus de 100 kilos n’est certainement pas un «loisir» comme les autres. La France est l’un des rares pays à laisser chasser 7 jours sur 7, durant 10 mois de l’année. Transformer nos campagnes en zones de safari est irresponsable. Les Français veulent pouvoir se promener en toute sécurité. Leur demander de télécharger des applications pour savoir où il serait risqué de s’aventurer, ou leur imposer de porter des tenues fluorescentes est indécent. Il est temps d’écouter les citoyens qui demandent très majoritairement un meilleur partage de l’espace public
Allain Bougrain Dubourg
Président de la LPO