Au-delà de la disproportion de la sanction, la dissolution des Soulèvements de la Terre trahit l’aveuglement de pouvoirs publics dépassés face aux urgences écologiques. La radicalisation du dialogue sur la protection de la nature invite aujourd’hui à remettre tous les acteurs autour d’une même table.
Tribune publiée par le journal La CROIX le 29 juin 2023
L’effondrement de la biodiversité se poursuit inexorablement et le réchauffement climatique se vérifie chaque année davantage. En mai 2023, une étude du CNRS pointait clairement du doigt la responsabilité de l’intensification de l’agriculture dans la disparition des oiseaux des champs, qui ont perdu 60% de leurs effectifs en à peine 40 ans.
Selon le dernier rapport du Giec, près de 80 % des bassins hydrographiques du monde devraient être affectés de manière critique d’ici à 2050. La France ne sera pas épargnée. Face au tarissement précoce des ressources en eau, les tensions s’y multiplient déjà, comme l’ont illustré les affrontements autour des mégabassines de Sainte-Soline le 25 mars dernier.
Profondément attachée au respect du droit, la LPO ne cautionne pas les violences ni les dégradations, mais partage l’impatience et l’anxiété de leurs auteurs. Nous considérons que les outrages à l’encontre de la nature sont inacceptables et ne nous étonnons pas des débordements qu'un tel mépris peut provoquer. D’autant plus que les moyens d’action légaux sont souvent désespérants. Quelques exemples :
Les objectifs fixés par la loi du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement sont ainsi loin d’avoir été atteints, en particulier dans le domaine agricole : 20% de la surface devait être consacrée à l’agriculture biologique d’ici à 2020, nous en étions à 11% en 2022. L’usage des pesticides devait être réduit de moitié en 10 ans, il a augmenté d’un quart.
Jusqu’au 6 juillet 2023, une consultation publique est ouverte sur le projet d’arrêté ministériel fixant pour 3 ans la liste des espèces susceptibles d’occasionner des dégâts (ESOD), cinq oiseaux et quatre mammifères sauvages que le gouvernement autorise à abattre sans limite pour prévenir d’hypothétiques dommages aux productions agricoles. En dépit de dizaines de milliers d’avis négatifs déjà déposés par des citoyens opposés au texte, son contenu final laisse malheureusement peu de doutes. Une mobilisation d’une ampleur équivalente n’avait guère fait évoluer la version précédente en 2019.
En juin 2022, la Commission européenne a présenté une proposition de loi ambitieuse visant à imposer aux Etats membres de restaurer les forêts, les zones humides et autres milieux marins et terrestres endommagés par les activités humaines. Cible de manœuvres politiques inédites, cette loi a été successivement rejetée par les commissions agriculture, pêche et environnement du Parlement européen où elle doit désormais être soumise le 13 juillet prochain au vote des eurodéputés, dont l’issue positive semble très incertaine.
En mai 2021, la LPO a entamé une procédure judiciaire afin de faire reconnaître la responsabilité des producteurs et des distributeurs de substances néonicotinoïdes dans la disparition de la biodiversité. Plus de 2 ans plus tard, le dossier n’a guère avancé face à la puissance de l’arsenal juridique déployé par l’industrie agrochimique. Il avait fallu 13 ans de combat dans les tribunaux pour faire reconnaître définitivement le préjudice écologique causé par la marée noire consécutive au naufrage du pétrolier Erika en décembre 1999…
Dissous, l’injuste prix
En parallèle d’un tel immobilisme, de promptes sanctions toujours plus lourdes s’abattent sur les lanceurs d’alerte tandis que ceux qui les agressent bénéficient d’une impunité suspecte.
Le film « Les Algues vertes », qui sortira en salles le 12 juillet 2023, raconte ainsi les pressions subies par ceux qui posent trop de questions sur cette pollution végétale des côtes bretonnes causée chaque été par les nitrates déversés par l’agroalimentaire. Le 17 juin, lors de son congrès annuel, la LPO a décerné un macareux d’or à Patrick Picaud pour son engagement en faveur de la biodiversité. L’épouse de ce responsable de Nature Environnement 17 a été violentée en mars dernier par des agriculteurs en colère qui ont également saccagé son domicile, sans être poursuivis. Début avril, le site de l’Office français de la biodiversité à Brest a été incendié par des pêcheurs mécontents des restrictions imposées par le Conseil d’Etat pour protéger les dauphins, tandis que des tentatives d’intimidation étaient menées en parallèle contre Sea Shepherd et la LPO. Depuis les années 1980, chaque fois que la LPO s’est opposée au braconnage de la Tourterelle des bois ou du Bruant ortolan dans le Sud-Ouest après que la chasse de ces espèces menacées ait été interdite, ses représentants furent l’objet de menaces et de violences de la part des fédérations de chasseurs, sans que ces dernières ne risquent pourtant la dissolution.
Comme l’a exprimé Greta Thunberg : ce n’est pas en baissant le volume de l’alarme incendie que l’on parviendra à éteindre le feu. Notre maison brûle. Ne serait-il pas temps de sortir des invectives et des certitudes, d’enfin opter pour la désescalade et le débat constructif ? La mobilisation collective se devrait d’être au moins du même niveau que lors de la pandémie de Covid. L’enjeu n’est rien de moins que la capacité de notre pays à faire face à la crise climatique, à la perte de biodiversité et à la raréfaction de la ressource en eau, tout en assurant la sécurité alimentaire de la nation. Qu’y a-t-il de plus important ?
Retrouvons donc l’esprit du Grenelle de l’environnement de 2007 pour garantir un monde vivable à nos enfants en nous battant sans relâche. Ensemble, pas les uns contre les autres.
Allain Bougrain Dubourg, Président de la LPO